Écrit par
Maître Elodie DUCREY‑BOMPARD
Actualités jurisprudentielles

Par un arrêt récent, rendu en date du 30 décembre 2014, la Cour Administrative d’Appel de BORDEAUX a eu l’occasion de faire une application orthodoxe de la jurisprudence implacabe mais de bon sens du Conseil d’Etat, selon laquelle le critère de la capacité des entreprises ne peut pas être un critère de choix des offres. Décryptage. 

Aux termes du premier alinéa de l’article 52 du Code des marchés publics, les candidatures qui ne sont pas recevables en application des articles 43, 44 et 47 ou qui ne présentent pas des garanties techniques et financières suffisantes ne sont pas admises.

Par ailleurs, l’article 53 du même code dispose :

« Pour choisir l’offre économiquement la plus avantageuse, la personne publique se fonde sur des critères variables selon l’objet du marché, notamment le coût d’utilisation, la valeur technique, le délai d’exécution, les qualités esthétiques et fonctionnelles, la rentabilité, le service après-vente et l’assistance technique, la date et le délai de livraison, le prix des prestations.

 D’autres critères peuvent être pris en compte s’ils sont justifiés par l’objet du marché ou ses conditions d’exécution (…) »

 Il s’évince de l’articulation des dispositions précitées que les capacités du candidat, établies notamment par ses références professionnelles, doivent être examinées au moment de l’examen des candidatures.

Inversement, les critères d’attribution du marché ont et doivent avoir pour seul objet de dégager l’offre économiquement la plus avantageuse.

De sorte qu’il ne doit pas être tenu compte de l’expérience des soumissionnaires, de leurs effectifs et de leurs équipements ainsi que de leurs capacités à exécuter le marché lors du jugement des offres.

La jurisprudence la plus classique, tant communautaire que nationale, est en ce sens (CJCE, 24 janv. 2008, aff. C-532/06 : Rec. CJCE 2008, I. p. 251 ; CE, 29 déc. 2006, n°273783, Sté Bertele SNC ; CAA Lyon, 29 sept. 2005, n°00LY02073, Préfet de l’Ain ; CE, 4 mars 2011, n°344197).

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Dans le cas qu’avait à juger la Cour d’appel de BORDEAUX, le règlement de la consultation précisait que les offres seraient appréciées au regard des critères du prix, de la capacité de l’entreprise, du mémoire technique et de l’organisation de l’équipe cynotechnique, respectivement pondérés à hauteur de 40 %, 30 %, 20 % et 10 %.

Pour la mise en œuvre du critère portant sur la capacité de l’entreprise, le pouvoir adjudicateur avait fait usage de trois sous-critères relatifs :

- au chiffre d’affaires par rapport au marché ;
- aux moyens humains de l’entreprise ;
- et aux références en matière de sûreté aéroportuaire.

Ce critère, impliquant une simple présentation générale de l’entreprise, sans rapport avec l’exécution technique du marché, permettait seulement une appréciation de la capacité professionnelle et technique des candidats et se rapportait à l’examen et à la sélection des candidatures.

C’est donc tout naturellement que la Cour a décidé que le pouvoir adjudicateur avait manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence en recourant à un tel critère et qu’elle a approuvé les premiers juges qui avaient annulé pour excès de pouvoir, d’une part, la décision rejetant son offre et d’autre part, la décision de signer le marché.

On relèvera ici que l’arrêté commenté présente un double intérêt puisqu’au-delà de cette question des critères, le Tribunal, saisi d’un recours dit « TROPIC », avait alloué de’appréciables dommages-intérêts à la société requérante, à hauteur de 90.000 euros.

Le Tribunal est là encore approuvé, pour avoir retenu que l’entreprise requérante illégalement évincée de l’attribution du marché litigieux avait des chances sérieuses d’emporter le marché, dès lors que son offre avait obtenu un nombre de points supérieur à celui attribué à la société attributaire, abstraction faite du critère portant sur la capacité de l’entreprise, et qu’elle aurait normalement dû être classée en première position.

Il a donc été fait une stricte application de la jurisprudence classique en matière d’indemnisation du préjudice subi du fait de l’éviction irrégulière d’une procédure de marché public, à savoir que « dans le cas où une entreprise candidate à l’attribution d’un marché public avait des chances sérieuses d’emporter le marché, elle a droit, en réparation du préjudice né de son éviction irrégulière, à l’indemnisation de l’intégralité du manque à gagner qu’elle a subi « , « déterminé en fonction du bénéfice net qu’elle aurait retiré du marché ».

Au cas d’espèce, eu égard à son expérience, il a été admis que la société requérante avait des chances sérieuses d’obtenir non seulement le marché mais également la reconduction tacite prévue par le contrat pour deux années supplémentaires et qu’ainsi, le manque à gagner devait être appréciée pour l’ensemble de la période prévue au contrat, comprenant les deux années de reconduction tacite. La Cour estime, par suite, que les premiers juges n’ont pas fait une appréciation exagérée de la marge nette dont la société a été privée en l’évaluant à 90 000 euros.
CAA Bordeaux, 30 décembre 2014, CCI des îles de Guadeloupe, n° 13BX01534