Dans une décision rendue en date du 29 juin 2016, le conseil d’État fait application de sa jurisprudence classique sur la responsabilité sans faute en matière d’urbanisme.
En principe, les servitudes d’urbanisme d’ouvrent pas droit à indemnisation, ce qui comprend l’ensemble des règles issues des documents d’urbanisme locaux, ainsi que les modifications desdites règles.
En effet, aux termes de l’article L. 160-5 alinéa 1 du code de l’urbanisme : » N’ouvrent droit à aucune indemnité les servitudes instituées par application du présent code en matière de voirie, d’hygiène et d’esthétique ou pour d’autres objets et concernant, notamment, l’utilisation du sol, la hauteur des constructions, la proportion des surfaces bâties et non bâties dans chaque propriété, l’interdiction de construire dans certaines zones et en bordure de certaines voies, la répartition des immeubles entre diverses zones. «
L’alinéa suivant apporte cependant un tempérament à la règle de principe: Toutefois, une indemnité est due s’il résulte de ces servitudes une atteinte à des droits acquis ou une modification à l’état antérieur des lieux déterminant un dommage direct, matériel et certain ; cette indemnité, à défaut d’accord amiable, est fixée par le tribunal administratif, qui doit tenir compte de la plus-value donnée aux immeubles par la réalisation du plan d’occupation des sols rendu public ou du plan local d’urbanisme approuvé ou du document qui en tient lieu » .
Ces dispositions instituent un régime spécial d’indemnisation exclusif de l’application du régime de droit commun de la responsabilité sans faute de l’administration pour rupture de l’égalité devant les charges publiques.
Dans un arrêt du 3 juillet 1998 (CE, 3 juillet 1998, M. Bitouzet, n° 158592) , le Conseil d’Etat a cependant jugé que ces dispositions ne font pas obstacle à ce que le propriétaire dont le bien est frappé d’une servitude prétende à une indemnisation dans le cas exceptionnel où il résulte de l’ensemble des conditions et circonstances dans lesquelles la servitude a été instituée et mise en oeuvre, ainsi que de son contenu, que ce propriétaire supporte une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l’objectif d’intérêt général poursuivi.
Les faits, relativement complexes et anciens, dont avait à connaître la Haute Juridiction dans le cadre de sa décision présentement commentée, se laissent résumés de la manière suivante.
Une société avait acquis en 1987 et 1989 un certain nombre de terrains vierges, d’une superficie totale 1 262 493 m², pour une opération d’aménagement très important, portant sur une surface de construction hors oeuvre nette globale de 70 171 m².
Cette acquisition a été réalisée après que le POS commune eut été modifié, conformément aux engagements pris par la commune, afin de le rendre compatible avec ce projet d’aménagement.
La société avait engagé d’importants travaux en vue de la réalisation de ce projet qui bénéficiait, à l’origine, du soutien de la commune.
Le projet n’a pu aboutir en raison du défaut de raccordement des terrains d’assiette au réseau d’assainissement.
En 2005, la commune a décidé d’abroger le POS tel que révisé en 1987 et d’approuver, conjointement avec le préfet, une carte communale procédant au classement de terrains en zone naturelle non constructible pour le motif d’intérêt général tiré de la préservation du caractère rural de cette zone.
L’approbation de cette carte a eu notamment pour effet, en procédant au classement en zone inconstructible de la totalité des terrains dont la société requérante est propriétaire, d’amoindrir la valeur vénale de sa propriété, laquelle occupe une partie substantielle du territoire de la commune, et de compromettre définitivement ses projets d’aménagement.
Le Conseil d’Etat applique fidèlement sa jurisprudence sur la responsabilité sans faute en matière urbanisme et juge que l’approbation de la carte communale doit ainsi être regardée comme ayant fait peser sur cette société, qui a été seule affectée par ce classement, une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l’objectif d’intérêt général poursuivi.
La carte communale étant, en vertu de l’article L 124-2 du code de l’urbanisme, approuvée conjointement par le conseil municipal et par le préfet, les préjudices en résultant sont de nature à engager la responsabilité conjointe de la commune et de l’Etat à son égard. Il y a lieu de mettre à la charge de chacun d’entre eux la moitié des sommes à lui verser à ce titre.
Le Conseil d’Etat a laissé à la charge de la société la moitié du préjudice indemnisable au motif que, par son comportement, et notamment son inertie durant les années 1997 à 2002, au cours desquelles elle n’a pas entrepris de démarches auprès de la commune pour tenter de résoudre les difficultés liées à l’impossibilité de raccorder ses terrains au réseau d’assainissement, la société a elle-même contribué à la réalisation du préjudice dont elle demandait réparation.
► Pour prendre connaissance de la décision du Conseil d’Etat, cliquer sur le lien suivant: CE, 29 juin 2016, société Château Barrault, société d’aménagement du domaine de Château Barrault, n° 375020