En l’espace de quelques mois, le Conseil d’Etat et la Cour de Cassation viennent de rendre des décisions aux antipodes l’une de l’autre qui témoigne, d’une part, de la différence de méthode entre les deux plus hautes juridictions de l’ordre administratif et l’ordre judiciaire et, d’autre part, qui met en évidence une conception divergente de leur office. Si le Conseil d’Etat décide de faire œuvre prétorienne, au détriment du droit agent public, la Cour de Cassation joue son véritable rôle de Cour régulatrice et apparaît comme protecteur des droits des salariés (CE, 14 juin 2017, n°391131 et Ch. Soc., 21 septembre 2017, 16-24.022).
C’est le contentieux des congés annuels non pris qui fait naître cette constatation et, plus précisément, la question d’une période de report au-delà de laquelle le salarié où l’agent public ne peux plus réclamer le bénéfice des congés non pris.
Le cadre juridique en la matière est entièrement façonné par la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne développée à partir des dispositions de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil de l’Europe en date du 4 novembre 2003.
Cette problématique pose d’intéressantes questions d’articulation entre normes européennes et dispositions du droit interne.
Après un bref rappel des règles juridiques et des enjeux relatifs à l’existence d’une période de report (I), nous nous concentrerons sur les deux décisions faisant l’objet du présent commentaire (III).
I – Le cadre juridique
A – Le cadre juridique européen
L’article 7 de la directive précitée prévoit que :
« 1. Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d’un congé annuel payé d’au moins quatre semaines, conformément aux conditions d’obtention et d’octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales.
2. La période minimale de congé annuel payé ne peut être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relation de travail ».
La Cour de Justice de l’Union Européenne a interprété ces dispositions de manière à garantir le maintien du droit à congé annuel même en cas d’arrêt maladie.
Dans un arrêt du 3 mai 2012, la Cour de Justice de l’Union européenne a posé le principe d’un droit à indemnisation des congés non pris en cas de fin de relation de travail mais a fixé un plancher d’indemnisation à 20 jours annuels par période de référence, en laissant une latitude aux Etats membres pour la gestion du congé supplémentaire.
Le contexte étant posé, il convient d’examiner les dispositions pertinentes en droit interne.
B – Le cadre juridique interne
Il convient de distinguer le cas des agents publics (i) et le cas des salariés soumis à contrat de travail et qui relève d’un régime de droit privé (ii).
i – Le cas des agents publics
Aux termes de l’article 5 du décret n°85-1250 du 26 novembre 1985 relatif aux congés annuels des fonctionnaires territoriaux :
« Sous réserve des dispositions de l’article précédent, le congé dû pour une année de service accompli ne peut se reporter sur l’année suivante, sauf autorisation exceptionnelle donnée par l’autorité territoriale.
Un congé non pris ne donne lieu à aucune indemnité compensatrice ».
Ces dispositions, qui ne prévoient le report des congés non pris au cours d’une année de service qu’à titre exceptionnel, sans faire d’exception pour les agents qui ont été dans l’impossibilité de prendre leurs congés annuels en raison d’un congé de maladie, ont été jugées incompatibles avec les objectifs de la directive par le Conseil d’Etat (CE,26 octobre 2012, n°346648).
Nous sommes ici dans un cas topique d’application du principe de primauté des normes européennes sur le droit national.
En effet, en vertu de la jurisprudence communautaire, les directives ont un effet direct de vertical (CJCE, 4 décembre 1974, Van Duyn, n°41/74).
ii – Les salariés soumis au Code du travail
L’article L.3141-28 du Code du travail, dans sa version résultant de la loi du 8 août 2016, dispose :
« Lorsque le contrat de travail est rompu avant que le salarié ait pu bénéficier de la totalité du congé auquel il avait droit, il reçoit, pour la fraction de congé dont il n’a pas bénéficié, une indemnité compensatrice de congé déterminée d’après les articles L. 3141-24 à L. 3141-27 ».
Selon la Cour de cassation, des dispositions ou pratiques nationales peuvent limiter le cumul des droits au congé annuel payé d’un travailleur en incapacité de travail pendant plusieurs périodes de référence consécutives.
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Le contexte juridique étant brièvement exposé, il convient, à présent, de s’intéresser à la question de la période limite de report.
La directive ne fixe rien sur ce point et laisse aux états membres une marge d’appréciation.
La Cour de justice de l’Union européenne est venue préciser que le droit au report des congés annuels n’est pas sans limite, au regard de la finalité de la directive.
La CJUE a ainsi pu estimer qu’une période de report de neuf mois, fixé par une législation nationale, était contraire aux objectifs de la directive (CJUE, 3 mai 2012, Aff. C-337/10).
Il n’en va toutefois pas de même d’une période de report de 15 mois, compatible, selon la CJUE, avec la directive (CJUE, 22 novembre 2011, Aff. C-214/10).
Ces dernières années, de nombreuses administrations croyaient pouvoir tirer de ces arrêts une ligne directrice et ont décidé, de fait, de limiter à 15 mois la période de report sur une période de référence d’une année.
Cette position était éminemment critiquable dans la mesure où la Cour de justice n’a pas fixé de règle mais s’est tout simplement bornée à analyser une législation nationale limitant à 15 mois ladite période en considérant que celle-ci n’était pas contraire à la directive.
Les Etats disposant, en tout état de cause, d’une marge d’appréciation importante.
Or, en France, tant le pouvoir réglementaire ou que le pouvoir législatif étaient toutefois demeurés inertes sur cette question.
Ainsi, en France, aucun texte ne limitait à 15 mois la période de report sur une période de référence d’une année.
Il s’agit d’une pratique arbitraire de l’administration, adoptée à la faveur d’une lecture très orientée de la jurisprudence européenne.
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C’est dans cet environnement juridique, tout entier façonné par la jurisprudence de l’UE, que le Conseil d’Etat a, dans un premier temps, par un avis contentieux puis, dans un second temps, par un arrêt contentieux, fixé de manière prétorienne (c’est-à-dire par la jurisprudence, sans aucun texte législatif ou réglementaire) une période à l’expiration de laquelle le droit au congé annuel payé s’éteint.
Dans une démarche prétorienne loin d’être inédite mais qui ne cesse, toutefois, de surprendre, le Conseil d’Etat a fixé des limites qu’il appartenait, en principe, au pouvoir règlementaire de fixer.
Voie vers laquelle, en revanche, ne s’est pas engagée la Cour de cassation.
Fidèle à son rôle de cour régulatrice, elle a pris acte du fait que si des dispositions nationales peuvent limiter le cumul des droits au congé annuel dans le temps, il ne lui appartenait pas de fixer un cadre, en l’absence de toute base légale.
Ainsi, les deux hautes juridictions adoptent une position en tout point antinomique.
Ces solutions ô combien divergentes illustrent une différence d’approche entre les deux plus hautes juridictions, qui révèle, en creux, une inégalité entre les salariés soumis à un régime de droit privé et les agents publics.
Analysons donc ces deux décisions.
I – Conseil d’Etat et Cour de Cassation : deux approches différentes pour des solutions génératrices d’inégalité
A – La position du Conseil d’Etat : une démarche prétorienne contestable
Le contentieux des congés payés donne lieu, ces dernières années, à un contentieux abondant impliquant des agents publics qui n’ont pas été en mesure de prendre leur congé annuel avant rupture de leur lien avec leur administration d’origine et ces dernières, contraintes de rentrer dans une logique d’économie budgétaire face à la baisse des dépenses publiques.
Or, sur cette question les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel adoptaient des décisions divergentes.
Certains estimaient valable la limite de 15 mois opposée par l’administration, d’autres, fort logiquement, la censuraient.
Saisie précisément d’un tel litige, la Cour administrative d’appel de Bordeaux, consciente de ce que la question posée revêtait une importance particulière a saisi le Conseil d’Etat d’une demande d’avis contentieux (CAA Bordeaux, 15 décembre 2016, n°14BX03684).
Le 26 avril dernier, le Conseil d’Etat a, en conséquence, rendu un avis dont la teneur est la suivante :
« 2. Aux termes de l’article 1er du décret du 26 octobre 1984 relatif aux congés annuels des fonctionnaires de l’Etat visé ci-dessus : » Tout fonctionnaire de l’Etat en activité a droit, dans les conditions et sous les réserves précisées aux articles ci-après, pour une année de service accompli du 1er janvier au 31 décembre, à un congé annuel d’une durée égale à cinq fois ses obligations hebdomadaires de service « . Aux termes de l’article 5 du même décret : » Le congé dû pour une année de service accompli ne peut se reporter sur l’année suivante, sauf autorisation exceptionnelle donnée par le chef de service. Un congé non pris ne donne lieu à aucune indemnité compensatrice « . Ces dispositions réglementaires, qui ne prévoient le report des congés non pris au cours d’une année de service qu’à titre exceptionnel, sans réserver le cas des agents qui ont été dans l’impossibilité de prendre leurs congés annuels en raison d’un congé de maladie, sont, dans cette mesure, incompatibles avec les dispositions de l’article 7 de la directive citée au point 1 et, par suite, illégales.
3. En l’absence de dispositions législatives ou réglementaires fixant ainsi une période de report des congés payés qu’un agent s’est trouvé, du fait d’un congé maladie, dans l’impossibilité de prendre au cours d’une année civile donnée, le juge peut en principe considérer, afin d’assurer le respect des dispositions de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003, que ces congés peuvent être pris au cours d’une période de quinze mois après le terme de cette année. La Cour de justice de l’Union européenne a en effet jugé, dans son arrêt C-214/10 du 22 novembre 2011, qu’une telle durée de quinze mois, substantiellement supérieure à la durée de la période annuelle au cours de laquelle le droit peut être exercé, est compatible avec les dispositions de l’article 7 de la directive. Toutefois ce droit au report s’exerce, en l’absence de dispositions, sur ce point également, dans le droit national, dans la limite de quatre semaines prévue par cet article 7 ». (CE, 26 avril 2017, n°406009)
Cet avis, qui fixait déjà de manière prétorienne une période de report de quinze mois, n’était qu’une première étape.
En effet, dans un second temps, le Conseil d’Etat a précisé, cette fois dans un arrêt contentieux en date du 14 juin 2017, le principe dégagé par l’avis et a entendu donner une assise juridique à la règle des quinze mois.
« 3. Aux termes de l’article 5 du décret du 26 novembre 1985 relatif aux congés annuels des fonctionnaires territoriaux : » (…) le congé dû pour une année de service accompli ne peut se reporter sur l’année suivante, sauf autorisation exceptionnelle donnée par l’autorité territoriale. Un congé non pris ne donne lieu à aucune indemnité compensatrice « . Ces dispositions réglementaires, qui ne prévoient le report des congés non pris au cours d’une année de service qu’à titre exceptionnel, sans réserver le cas des agents qui ont été dans l’impossibilité de prendre leurs congés annuels en raison d’un congé de maladie, sont, dans cette mesure, incompatibles avec les dispositions de l’article 7 de la directive citée au point 2 et, par suite, illégales. En revanche, ces mêmes dispositions permettent en principe à l’autorité territoriale de rejeter une demande de report des jours de congés annuels non pris par un fonctionnaire territorial en raison d’un congé de maladie lorsque cette demande est présentée au delà d’une période de quinze mois qui suit l’année au titre de laquelle les droits à congé annuels ont été ouverts ». (CE, 14 juin 2017, n°391131)
Par conséquent, le Conseil d’Etat annule l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris pour une insuffisance de motivation tirée de ce que la Cour a écarté les dispositions de l’article 5 du décret du 26 novembre 1985 « sans s’expliquer sur les raisons pour lesquelles elle a écarté, la règle selon laquelle l’autorité territoriale est fondée en principe à rejeter une telle demande lorsqu’elle est présentée au-delà d’une période de quinze mois qui suit l’année au titre de laquelle les droits à congé annuels ont été ouverts ».
Contrairement à son avis contentieux, le Conseil d’Etat s’est montré, dans cet arrêt, plus précis sur le fondement juridique de cette règle.
Le Conseil d’Etat s’est attaché à fournir le mode d’emploi du report de congés annuels en cas de maladie, suppléant ainsi les carences du pouvoir réglementaire mais, ce faisant, en excédant manifestement son office.
Le Conseil d’Etat a en tout point suivi son Rapporteur Public qui, dans ses conclusions, invitait le Conseil à faire œuvre prétorienne.
Dans les conclusions rendues dans cet arrêt en effet, ledit Rapporteur Public estime qu’il existe une ambiguïté dans l’avis contentieux du 26 avril précité, ambiguïté qui réside dans la question du fondement de la règle du report limité en principe à quinze mois.
Il invite donc à lever cette ambiguïté.
Le Rapporteur Public prend soin d’indiquer, au préalable, qu’il « est vain de rechercher cette règle, dans la directive, même éclairée par la jurisprudence de la Cour de Justice. Celle-ci n’a jamais jugé qu’un délai de quinze mois était impliqué par la directive, non plus que par aucune règle ou principe du droit de l’Union. Elle s’est bornée à juger qu’un tel délai de report, prévu par la législation d’un autre Etat membre, était compatible avec les exigences de la directive ».
Le rapporteur public d’imaginer alors que cette règle trouverait son fondement dans les dispositions de l’article 5 du décret, qui resteraient donc, sur ce point, compatibles avec la directive, « en tant qu’elles [les dispositions] peuvent être lues comme n’autorisant, dans ce cas, un report des congés annuels non pris que pendant une période de quinze mois suivant l’année au titre de laquelle est né le droit à congé, et dans la limite d’un congé de quatre semaines ».
Cette démarche prétorienne est vivement critiquable.
Elle aboutit, de fait, à une quasi-réécriture des dispositions réglementaires.
Or, le rôle du Conseil d’Etat, en tout cas dans sa fonction juridictionnelle, n’est pas de suppléer la carence du pouvoir réglementaire.
Une telle décision interroge sur le rôle du Conseil d’Etat et sur son indépendance revendiquée.
Surtout, cette décision est en défaveur des agents publics qui font les frais d’un contexte d’économie budgétaire et de réduction de la dépense publique.
En filigrane, c’est le rôle du Conseil d’Etat qui mérite d’être interrogé.
Appartient-il à la plus haute juridiction de l’ordre administratif du pays de se substituer à la carence du pouvoir réglementaire ou, pire, législatif ?
Quid alors de la séparation des pouvoirs et du rôle de l’autorité judiciaire ?
Peut-on admettre, dans un pays démocratique, qui se réclame de l’Etat de droit, que la loi soit créée par ceux-là même qui doivent la faire appliquer ?
Quoiqu’il en soit, cette problématique renvoie à une vieille querelle juridique, qui n’est toujours pas achevée aujourd’hui, et qui pose le rôle de la séparation des ordres administratif et judiciaire ainsi que, surtout, la collision entre la plus haute juridiction de l’ordre administratif et le pouvoir législatif et réglementaire.
D’autant plus que très récemment, la Cour de Cassation a rendu un arrêt en tout point inverse à celui du Conseil d’Etat.
B – La position de la Cour de Cassation : le rôle d’une Cour régulatrice
C’est une toute autre solution qu’a adoptée la Cour de cassation.
Dans un arrêt du 21 septembre 2017 la Cour de cassation a dit pour droit :
« Attendu, ensuite, que si des dispositions ou pratiques nationales peuvent limiter le cumul des droits au congé annuel payé d’un travailleur en incapacité de travail pendant plusieurs périodes de référence consécutives au moyen d’une période de report à l’expiration de laquelle le droit au congé annuel payé s’éteint, dès lors que cette période de report dépasse substantiellement la durée de la période de référence, la directive 2003/88/CE ne fait pas obligation aux Etats membres de prévoir une telle limitation ; qu’après avoir retenu que les articles 58 et 71, alinéa 3, du statut du personnel relatifs à l’écrêtement des congés payés et aux reports en cas de maladie de l’agent étaient contraires aux dispositions claires et inconditionnelles de l’article 7 de la directive 2003/88/CE, la cour d’appel, qui a ordonné à l’employeur de régulariser la situation de l’ensemble des salariés concernés a, sans méconnaître son office, fait l’exacte application de la loi ;
Attendu, encore, qu’eu égard à la finalité qu’assigne aux congés payés annuels la directive 2003/88/CE du Parlement européen concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, lorsque le salarié s’est trouvé dans l’impossibilité de prendre ses congés payés annuels au cours de l’année prévue par le code du travail ou une convention collective en raison d’absences liées à une maladie, un accident du travail ou une maladie professionnelle, les congés payés acquis doivent être reportés après la date de reprise du travail ou, en cas de rupture, être indemnisés au titre de l’article L. 3141-26 du code du travail, dans sa rédaction alors applicable ;
Attendu, enfin, que l’article 7 de la directive 2003/88/CE ayant repris à l’identique les termes de l’article 7 de la directive 93/104/CE, dont le délai de transposition expirait le 23 novembre 1996, la cour d’appel a décidé à bon droit que la situation des salariés concernés devait être régularisée à compter du 4 novembre 2003 » (C.Cass., Ch. Soc., 21 septembre 2017, n°16-24022)
Dans un communiqué publié concomitamment à son arrêt, promis à une large diffusion, la Chambre sociale de la Cour de Cassation a rappelé que « la directive renvoie au législations et pratiques nationales pour la définition des conditions d’obtention et d’octroi des congés payés, sous réserve, naturellement que cette mise en oeuvre par les autorités nationales soit effectuée dans les limites expressément énoncées par la directive (CJUE, 24 janvier 2012, Dominguez, C-282/10). Dès lors, en l’absence de précision de la directive, la définition du délai de report des congés payés relève de la marge de manoeuvre des Etats membres, sous réserve de respecter le seuil minimal défini par la Cour de justice, à savoir dépasser substantiellement la période de référence. Le délai de perte peut être fixé à quinze mois, comme l’a admis la Cour de justice, mais, un délai supérieur comme par exemple 16 ou 18 mois pourrait également répondre aux critères posés par la Cour de justice, à savoir dépasser substantiellement la période de référence. En droit interne, le code du travail ne prévoit aucun délai maximal de report des congés payés qui n’ont pu être exercés du fait d’un arrêt maladie, et il ne peut être tiré aucune conséquence de ce que, jusqu’à ce jour, le législateur s’est abstenu d’en fixer un ».
Dans le cas ayant donné lieu à l’arrêt, l’instruction générale applicable au sein de la RATP fixait un délai de perte de un an, qui ne dépassait donc pas substantiellement la période de référence.
Fort logiquement, la Cour de cassation a confirmé le raisonnement suivi par le juge d’appel, qui n’a pas méconnu son office en constatant l’absence de disposition nationale sur ce point.
C’est donc à bon droit que la cour d’appel est restée dans le cadre des textes applicables.
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Au regard du droit actuel, et sous réserve de l’existence de pratique nationale clairement définie, les salariés de droit privé et les agents de droit public font l’objet, au regard d’un même texte, d’un traitement différencié qui ne trouve aucune justification objective.
Et ce sont également les employeurs qui ne sont pas logés à la même enseigne : les employeurs de droit privé ne pouvant opposer ce fameux délai de 15 mois issu de nulle part tandis que les employeurs publics le pourront… cependant que les uns ne sont pas toujours mieux lotis, économiquement et budgétairement parlant, que les autres !
Il est vrai que les salariés de droit privé, soumis à un contrat de travail lui-même soumis à des conventions collectives, ne sont pas dans la même situation que les agents de droits publics, dont on dit qu’ils sont placés dans une position statutaire, en tout cas pour les fonctionnaires.
Néanmoins, aucune situation objective n’est de nature à justifier une telle application à géométrie variable des dispositions d’une directive.
D’autant que dans un cas comme dans l’autre, ni le pouvoir législatif ni le pouvoir réglementaire ne sont venus fixer les règles de report pour les salariés du privé ou les agents publics.
Une telle divergence d’approche entre les deux plus hautes juridictions françaises entraîne une profonde inégalité et, pour les agents publics (et les employeurs privés), un sentiment d’injustice justifié.
On perçoit également ici un enjeu sous-jacent fondamental dans un Etat de droit, celui de la sécurité juridique, de l’anticipation qu’il permet aux agents mais également – et cette question est sans doute plus essentielle encore, dans un contexte de remise en cause grandissante des pouvoirs – celui de la légitimité et du crédit accordé, par les justiciables, à la justice rendue par l’Etat.