Par un arrêt récent, rendu le 14 juin 2021, le Conseil d’Etat a apporté des précisions sur l’étendue et les conditions de la possibilité de définir une interdiction de construire dans certains secteurs au nom de la protection des paysages (CE, 14 juin 2021, Société des Sables, n° 439453).
La Haute juridiction s’est prononcée sur la possibilité d’inscrire au document d’urbanisme un cône de vue et une servitude non aedificandi ainsi que sur l’intensité des prescriptions les assortissant.
Il a été rendu au visa des dispositions des articles L. 151-19 et L. 151-23 du Code de l’urbanisme, lesquels disposent:
article L. 151-19:
« Le règlement peut identifier et localiser les éléments de paysage et identifier, localiser et délimiter les quartiers, îlots, immeubles bâtis ou non bâtis, espaces publics, monuments, sites et secteurs à protéger, à conserver, à mettre en valeur ou à requalifier pour des motifs d’ordre culturel, historique ou architectural et définir, le cas échéant, les prescriptions de nature à assurer leur préservation leur conservation ou leur restauration. Lorsqu’il s’agit d’espaces boisés, il est fait application du régime d’exception prévu à l’article L. 421-4 pour les coupes et abattages d’arbres. »
article L. 151-23:
« Le règlement peut identifier et localiser les éléments de paysage et délimiter les sites et secteurs à protéger pour des motifs d’ordre écologique, notamment pour la préservation, le maintien ou la remise en état des continuités écologiques et définir, le cas échéant, les prescriptions de nature à assurer leur préservation. Lorsqu’il s’agit d’espaces boisés, il est fait application du régime d’exception prévu à l’article L. 421-4 pour les coupes et abattages d’arbres.
Il peut localiser, dans les zones urbaines, les terrains cultivés et les espaces non bâtis nécessaires au maintien des continuités écologiques à protéger et inconstructibles quels que soient les équipements qui, le cas échéant, les desservent. »
Dans cette affaire, à dessein de préserver des perspectives sur le littoral, le conseil municipal de Pornic en Bretagne avait, par une délibération du 11 mars 2016, approuvé la modification n° 1 du règlement de son plan local d’urbanisme instituant, notamment deux types de protection dans les dispositions relatives à la zone urbaine de la commune.
D’une part, il s’agissait de délimiter des cônes de vue partant de certaines rues proches du front de mer, en interdisant toute construction à l’intérieur de ces cônes pour préserver l’idée d’une ville s’ouvrant sur l’océan.
D’autre part, il instaurait une zone non aedificandi recouvrant des parcelles de terrains bâtis peu denses situés en frange littorale.
Ces choix étaient justifiés par la volonté de la commune de contrecarrer les effets de la suppression du coefficient d’occupation des sols (COS) par la loi ALUR et de préserver des perspectives sur le littoral breton.
Cette modification avait eu pour effet de rendre inconstructibles trois parcelles situées en frange littorale appartenant à une SCI.
Cette dernière avait alors saisi le Tribunal administratif de Nantes d’une demande d’annulation de cette délibération.
Sa demande fut rejetée, en première instance comme en appel.
C’est dans ces conditions que le Conseil d’Etat, saisi d’un pourvoi de la requérante, est venu apporter des précisions sur la nature et l’intensité des prescriptions que les auteurs de PLU peuvent instituer au visa des dispositions de l’article L. 151-19 du Code de l’urbanisme et, par analogie, celles de l’article L. 151-23 du même code, étant rappelé que ces deux articles sont issus de la scission de l’ancien article L. 123-1-5 du Code de l’urbanisme.
Le Conseil d’Etat vient ainsi encadrer la possibilité pour les auteurs d’un PLU d’instaurer des cônes de vue ainsi que des zones non aedificandi sur le fondement des articles L. 151-19 et L. 151-23 du code de l’urbanisme, en jugeant que :
« La localisation de ce cône de vue ou de ce secteur, sa délimitation et les prescriptions le cas échéant définies, qui ne sauraient avoir de portée au-delà du territoire couvert par le plan, doivent être proportionnées et ne peuvent excéder ce qui est nécessaire à l’objectif recherché. Une interdiction de toute construction ne peut être imposée que s’il s’agit du seul moyen permettant d’atteindre l’objectif poursuivi ».
Le Conseil d’Etat a ainsi suivi les conclusions de son Rapporteur public, Monsieur Vincent VILLETTE, qui préconisait une limitation des possibilités de restriction du droit de construire.
S’agissant des cônes de vue, le Rapporteur public se prononçait en faveur d’une limitation de leur périmètre et estimait que les prescriptions éventuellement fixées doivent être adéquates au regard de l’objectif recherché, proportionnées et nécessaires, considérant que « l’interdiction de toute construction ne saurait être que l’ultime recours – et à ce titre exceptionnel – lorsqu’aucune autre mesure moins contraignante n’est envisageable, et alors que l’intérêt en cause du paysage justifie une telle protection ».
S’agissant des servitudes non aedificandi, Monsieur VILLETTE a rappelé que le contrôle vigilant du pastillage par le Juge administratif fait obstacle à ce qu’une collectivité puisse décider, sans base légale, de créer une zone inconstructible au sein d’une zone urbaine.
Il précise que lorsque le code de l’urbanisme admet des dérogations à la constructibilité de principe des zones U, des garanties sont offertes aux propriétaires concernés.
Il rappelle, enfin, que les outils pour limiter les possibilités de construction ne manquent pas, de sorte que l’instauration d’une zone non aedificandi ne se justifie pas en zone urbaine sans base légale.
Le Conseil d’Etat a, ainsi, censuré l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Nantes, en considérant qu’elle a commis une erreur de droit « en jugeant que la commune de Pornic avait pu, dans le règlement de son plan local d’urbanisme, établir, d’une part, un cône de vue excluant toute construction et, d’autre part, une » zone non aedificandi « qui interdit par nature toute construction, sans rechercher si ces interdictions, qui dérogent à la vocation d’une zone urbaine, constituaient, eu égard à l’ensemble des dispositifs existants, le seul moyen d’atteindre les objectifs recherchés, tels que relevés par les juges du fond, de valorisation des perspectives sur le littoral et de préservation de la frange littorale d’une urbanisation excessive ».
Comme l’indique le commentaire de Madame Lucienne Erstein paru à la Semaine Juridique Administrations et Collectivités territoriales n° 26 du 28 Juin 2021 (act. 421), l’interdiction de toute construction doit être justifié par l’un des objectifs mentionnés aux articles L. 151-19 et L. 151-23 du Code de l’urbanisme et ne peut être instituée que s’il n’existe pas un autre moyen pour atteindre l’objectif poursuivi :
« Un plan local d’urbanisme ne peut prévoir une interdiction de construire dans certains secteurs au nom de la protection des paysages (C. urb., art. L. 151-19 et L. 151-23) que s’il n’existe pas un autre moyen pour atteindre l’objectif poursuivi. S’il s’agit de prescriptions, elles doivent être proportionnées et ne pas excéder ce qui est nécessaire à ce même objectif, affirme aujourd’hui le Conseil d’État. Dans la présente affaire, le document d’urbanisme identifiait dans une zone urbaine un « cône de vue », où aucune construction n’était possible, afin de préserver une perspective sur le littoral, ainsi qu’une zone inconstructible. Les juges du fond sont censurés pour ne pas avoir recherché, avant d’avoir admis la légalité de ces prescriptions, si les interdictions en cause, dérogatoires à la vocation d’une zone urbaine, étaient inévitables pour obtenir la protection recherchée, soit les perspectives sur le littoral et la préservation de la frange littorale d’une urbanisation excessive.
La recherche de la proportion de la mesure protectrice, qui suppose un contrôle normal du juge de l’excès de pouvoir, introduit une nuance au contrôle restreint normalement de mise dans l’appréciation du bien-fondé du zonage auquel procède un document d’urbanisme (CE, 13 févr. 1985, n° 41498, Cne Baillargues : Lebon, p. 43). »
Ainsi, l’interdiction de construire doit être nécessaire, proportionnée et adéquate à l’objectif poursuivi. Faute de remplir ces trois conditions, dont la charge de la preuve incombe aux auteurs du PLU, la protection instaurée au visa des articles L. 151-19 et L. 1510-23 du Code de l’urbanisme encourrait la censure des tribunaux.
Pour consulter l’arrêt, cliquer sur le lien suivant: CE, 14 juin 2021, Société des Sables, n° 439453: Lebon T.